Il y a une fêlure dans la carapace. Aucune armure n’est parfaite et celle-ci ne fait pas exception. Pourtant, le blindage semble impénétrable. Les costumes sont aux idées ce que les plaques de métal sont aux épées. Mais derrière ce costume, comme derrière tous les autres costumes du monde, il y a un corps qui vit. Et ce corps génère des émotions, quand bien même les pressions extérieures essaient de les étouffer depuis toujours. Ainsi, plus qu’un homme dans un costume, on dirait plutôt une cocotte-minute sous pression. Le bouillonnement ne se voit pas, mais on entend déjà un sifflement poindre.
Le lieu importe peu. Ce qui compte, c’est que le point de rupture est proche. Jusqu’à présent, l’homme a toujours vécu selon un logiciel de pensée prédateur. Dans son système, il y a une hiérarchie très claire : nous, qui avons tout, et eux, qui ne sont rien. Il en est au sommet. Et pourtant… et pourtant, même dans les abysses les plus profondes, il arrive qu’un rayon de soleil perce la ténèbre.
L’émotion est partie dont ne sait où pour irradier dans toute la chair. Cette chair qu’il a tout fait pour nier, pour reléguer à un second plan. Et pourtant, comme une graine qui germe, elle fait son bout de chemin jusqu’à atteindre le cerveau. En un instant, elle détruit tout l’échafaudage complexe de son habitus. L’œuvre se fissure et s’effondre, ne laissant que des ruines dans la psyché.
Et enfin, une larme perle au coin de l’œil. Ce monument qu’on aurait cru de marbre était en réalité un humain ! On eut pu en douter. Mais en ce moment précis, la violence du monde, dont il a parfois été l’instigateur conscient, cette violence le heurte de plein fouet. Et pour la première fois, il pleure sincèrement. Il pleure de plus belle lorsqu’il se rend compte de son impuissance à réparer tous les torts qu’il a causés.
Ça ne change rien au monde, ça ne le rend pas plus juste ou plus beau. Un peu plus humide, tout au mieux…